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FROM LES ROSES by Rainer Maria Rilke

I

Si ta fraîcheur parfois nous étonne tant,
heureuse rose,
c’est qu’en toi-même, en dedans,
pétale contre pétale, tu te reposes.

Ensemble tout éveillé, dont le milieu
dort, pendant qu’innombrables se touchent
les tendresses de ce coeur silencieux
qui aboutissent à l’extrême bouche.

II

Je te vois, rose, livre entrebaîllé,
qui contient tant de pages
de bonheur détaillé
qu’on ne lira jamais. Livre-mage,

qui s’ouvre au vent et qui peut être lu
les yeux fermés…,
dont les papillons sortent confus
d’avoir eu les mêmes idées.

III

Rose, toi, ô chose par excellence complète
qui se contient infiniment
et qui infiniment se répand, ô tête
d’un corps par trop de douceur absent,

rien ne te vaut, ô toi, suprême essence
de ce flottant séjour;
de cet espace d’amour où à peine l’on avance
ton parfum fait le tour.

VI

Une rose seule, c’est toutes les rose
et celle-ci: l’irremplaçable,
le parfait, le souple vocable
encadré par le texte des choses.

Comment jamais dire sans elle
ce que furent nos espérances,
et les tendres intermittences
dans la partance continuelle.

XVIII

Tout ce qui nous émeut, tu le partages.
Mais ce qui t’arrive, nous l’ignorons.
Il faudrait être cent papillons
pour lire toutes tes pages.

Il y en d’entre vous qui sont comme des dictionnaires;
ceux qui les cueillent
ont envie de faire relier toutes ces feuilles.
Moi, j’aime les roses épistolaires.

XXIII

Rose, venue très tard, que les nuits amères arrêtent
par leur trop sidérale clarté,
rose, devines-tu les faciles délices complètes
de tes soeurs d’été?

Pendant des jours et des jours je te vois qui hésites
dans ta gaine serrée trop fort.
Rose qui, en naissant, à rebours imites
les lenteurs de la mort.

Ton innombrable état te fait-il connaître
dans un mélange où tout se confond,
cet ineffable accord du néant et de l’être
que nous ignorons.

XXVI

Infiniment rassurée
malgré tant de dangers
sans jamais rien changer
à ses habitudes,
la rose qui s’ouvre, prélude
à son innombrable durée.

Sait-on combien elle vit?
Un de ses jours, sans doute,
C’est toute la terre, toute
l’infinité d’ici.

XXVII

Rose eût-il fallu te laisser dehors,
chère exquise?
Que fait une rose là où le sort
sur nous s’épuise?

Point de retour. Te voici
qui partages
avec nous, éperdue, cette vie, cette vie
qui n’est pas de ton âge.